Les retours des élus se multiplient. Certains s'affirment très attachés à la liberté éducative, aux droits des enfants, certains ont même déposé des amendements de suppression pour cet article inique.
D'autres refusent toute discussion et se contentent de répéter le discours gouvernemental, sans aucune argumentation. En coulisses, il est question de soutien de parti... Par qui donc ont été élus le président et les élus ? N'est-ce pas par le peuple ? Pourquoi nos voix auraient moins d'importance qu'un parti ? Tout le monde ne peut pas être d'accord avec moi, mais le minimum est de prendre une décision en cherchant des informations et en réfléchissant, non ?
Alors aujourd'hui, je vous invite à une réflexion supplémentaire.
Contrôler l'instruction en famille
Instruction en famille dans les pays francophones
Hier, j'ai partagé un article sur la législation dans les pays francophones. C'est un article qui, sur le moment, m'a laissé un goût amer dans la bouche car de nombreux pays interdisent l'instruction en famille. Cependant, après étude des pays en question, il s'avère que la situation là-bas est complexe... Pauvreté, droits des enfants trop souvent peu respectés. Les conditions de vie sont souvent difficiles, les parents cherchent à survivre et font souvent travailler les enfants. Beaucoup d'entre eux sont illettrés, n'ayant quasiment aucune chance de briser ce cercle infernal. L'école apparait comme une chance, une chance de changer leur destin. L'instruction en famille pourrait-elle être autorisée ? Oui, si le contrôle était effectif car il y aurait un risque d'enfants non instruits et utilisés pour travailler dans le cas contraire. Or les pays qui n'ont déjà pas les moyens d'installer des écoles partout peuvent-ils contrôler ces familles ? J'ai bien peur que non. Je ne sais pas quelle décision je prendrais si j'étais une élue là-bas, mais je pense que ce serait compliqué. Cependant la France n'est absolument PAS dans la même configuration.
Il reste les pays riches : Belgique, Canada, Luxembourg, Monaco et Suisse. Dans chacun de ces pays, l'instruction en famille est possible. La loi y est cependant plus ou moins stricte et parfois soumise à autorisation. Cette volonté de contrôle me laisse perplexe... Pourquoi l'instruction en famille serait-elle une liberté à redouter ?
Contrôle de l'instruction en famille en France : un arsenal juridique particulièrement strict
En France, la loi prévoit :
- déclarations obligatoires. Dans le cas contraire possible amende de 1500€.
- une enquête de la mairie tous les deux ans visant à connaitre les raisons des familles et vérifier qu'il y a instruction. La plupart des familles ne sont pas opposées à une visite annuelle au lieu d'une visite tous les deux ans.
- un contrôle pédagogique annuel visant à s'assurer qu'il y a progression et en lien avec le socle commun
- ce contrôle peut être inopiné : en clair la famille peut voir apparaitre les personnes en charge du contrôle à tout moment ! Quelle école vit ça ? Quelles autres familles vivent ça ?
- si refus injustifié du contrôle: signalement au procureur (c'est l'inspection académique qui en juge et parfois une décision de "refus injustifié" est assez aberrante : problème de santé grave d'un membre de la famille et refus de l'académie de se déplacer par exemple ou encore stage d'un autre enfant qui doit être conduit à cette heure-là, etc.)
- si ce contrôle est négatif (la majorité des contrôles sont positifs alors même que les attentes pour les familles sans école sont généralement bien plus élevées que celles pour les écoles), second contrôle.
- si ce second contrôle est négatif, injonction de scolariser dans les 15 jours
- si l'injonction de scolariser n'est pas respectée : possible amende de 7500€ et jusqu'à 6 mois d'emprisonnement possible !
L'instruction en famille n'est donc absolument pas ignorée de la loi ! Et je peux vous assurer que cette législation stricte pèse régulièrement sur les familles qui craignent la subjectivité des personnes en charge du contrôle. C'est ainsi que j'ai surnommé certains inspecteurs des "cow-boys" tant ils sont irrespectueux des enfants et des familles. Certains vont jusqu'à dire à un enfant qu'il n'a aucun avenir et que ses parents vont aller en prison !
Le motif visant à dire que les familles sans école sont hors de contrôle est donc faux.
Des familles pas toujours contrôlées
Dans les faits, toutes les familles ne vivent pas de contrôle. Pourquoi ? Manque d'information des mairies et surtout non organisation des contrôles par l'inspection académique.
Deux alternatives :
- contrôler un an sur deux les familles qui instruisent depuis plusieurs années et dont on a pu constater la qualité de l'instruction
- créer un poste de personne qui connaitrait l'instruction en famille et serait en charge des contrôles. Pour rappel, les familles sans école permettent de sérieuses économies pour la période d'instruction obligatoire : coût d'un enfant en maternelle : 6800€/an, enfant primaire : 6400€/an, collège : 8710€/an.
Et la radicalisation ?
En 1999, Mme Ségolène Royal prétendait (lien):
"Chaque année, plusieurs milliers d'enfants échappent à l'École de la République.
Trop souvent, ces enfants sont maintenus dans un état d'inculture,
d'ignorance, ou pire encore, embrigadés, aliénés, maltraités."
Les préjugés existaient déjà... C'était il y a 22 ans. Croyez-vous que si c'était une réalité, la situation aurait duré pendant plus de 20 ans ?
Désormais on nous parle de lutter contre la radicalisation. Sans aucun chiffre. En citant uniquement l'exemple d'enfants dans une école de fait (donc une situation illégale qui n'est PAS l'instruction en famille). Au contraire, à plusieurs reprises, le ministre de l'éducation a admis qu'il n'y avait quasiment aucune famille concernée.
Alors quelle motivation ?
Changer l'école
Et si, au lieu de pointer du doigt, on cherchait ce qui ne va pas ?
Si mon corps se met subitement à saigner brutalement, vais-je lui interdire de saigner, poser rapidement une compresse ou vais-je chercher pourquoi il saigne ? Vous comprenez aisément que le choix 1 ne résoudra probablement rien et, même pourrait me mettre en danger. Contrairement à ce que certains croient, le choix de soumettre l'instruction en famille à autorisation peut avoir le même effet. Oui, cela ne représente après tout qu'une poignée d'enfants. Pour ma part, j'estime qu'une vie menacée, c'est une vie menacée de trop. Or, avec un système d'autorisation, il faudra attendre des avis, des avis souvent subjectifs alors que la situation de l'enfant est parfois urgente tant son mal être est grand.
Dans tous les cas, il me semble plus sage de réfléchir aux causes. La plupart des familles seraient prêtes à scolariser si l'école changeait !
Une école ouverte à la différence
Commençons par mettre le doigt sur la pseudo radicalisation massive des familles musulmanes. Bon nombre de familles musulmanes déscolarisent parce que l'enfant a un profil particulier, mais aussi en raison du racisme présent à l'école (cf. témoignage). Et cet article de loi ne fera qu'envenimer la situation... Je n'ose pas imaginer le retour des enfants musulmans à l'école... ils risquent fort d'être suspectés a priori de radicalisation tant le tapage autour de la radicalisation qui justifierait cette décision est fort.
La tolérance n'est pourtant pas toujours de mise à l'école... Les statistiques parlent d'un enfant harcelé sur dix, c'est énorme ! Il ne s'agit pas seulement d'enfants musulmans. Sont aussi concernés les enfants handicapés, les enfants à haut potentiel ou tout simplement les enfants qui à un moment M sont vus différents et isolés...
Cherchons les racines de cette intolérance. Mettons en place des systèmes d'ouverture de la parole, de médiation, a fortiori médiation enfantine (médiateurs enfants et ados). Rendre plus fort est largement insuffisant. Il importe de créer un vrai sentiment de communauté. Et, selon moi, ce sentiment communautaire est particulièrement difficile à mettre en place dans le système éducatif actuel.
Une école qui sort des évaluations étouffantes
C'est, selon moi, une des erreurs les plus importantes : la multiplication des évaluations !
Evaluations toujours plus importantes pour évaluer les difficultés, parait-il. Mais ça ne fonctionne pas comme ça. Une évaluation, c'est une photographie à un moment M. Certains, bons petits soldats, apprennent par coeur pour réussir l'évaluation et oublient plus vite encore ce qu'ils ont appris. D'autres, anxieux, échouent alors qu'ils savent. La tension est souvent au rendez-vous. J'ai de très mauvais souvenirs des évaluations en série imposées à ma grande et descolarisée en CE2 ! Les mamans inquiètes échangeaient sur le parking de l'école : "Est-ce qu'il va réussir ? Il est tellement fatigué. Il dort mal. Il mange mal". Les enfants sortaient avec des yeux de zombi de leur classe... Plus tard, soulagement ou larmes, parfois cris, seraient au rendez-vous...
Les familles sans école désirent souvent une autre réalité. Elles ont compris que les évaluations ne servent à rien. On n'apprend pas durablement pour une évaluation. On apprend pour soi et parce que ça fait sens. A la maison, je n'ai pas pratiqué d'évaluation pour les filles et pourtant toutes les deux ont eu le bac sans école, sans cours par correspondance. L'une a même décroché le bac avec mention bien, manquant de très peu (0,4 point) la mention très bien.
Le besoin d'apprendre à son rythme
La quasi totalité des familles sans école placent cette raison en position 1 !
Les enfants à haut potentiel s'ennuient. Au mieux, on leur propose un saut de classe, ce qui est largement insuffisant ! Un enfant à haut potentiel a souvent besoin d'aller plus vite, de faire moins d'exercices sur une notion, mais il a aussi énormément besoin d'enrichissement et cette réalité est largement sous-estimée. Pour l'avoir vécu, l'école propose souvent soit quelques exercices de plus (alors que comme expliqué précédemment, sauf si la notion amuse l'enfant, il aurait besoin de moins d'exercices), de lire dans la bibliothèque de la classe souvent déjà dévorée ou de dessiner (ce qui pour le coup est une torture pour l'enfant dyspraxique qui lui voudrait s'exprimer autrement).
Avec les évaluation à tout va, l'envie des cases précoces, l'enfant se trouve souvent en difficulté d'apprentissage et l'enfant qui aurait simplement appris à son rythme sans tout cela se retrouve catalogué "en difficulté".
Quant à aux enfants avec difficultés "innées", ils s'y retrouvent rarement. Très vite, ils apprennent l'incompétence dans un système où on pointe ce qui ne va pas, plutôt que ce qui va. Certains enseignants l'ont bien compris, adaptent et pointent les points positifs... jusqu'au jour où l'enfant change d'enseignant et où les pratiques trop courantes reprennent le dessus. Or, un enfant en difficulté a encore plus besoin qu'un autre qu'on l'aide à développer ses points forts !
Le respect du corps
Besoin de dormir pour les petits ou de ne pas dormir ! La sieste imposée est une torture lorsqu'on ne dort plus.
Besoin de dormir pour les grands. Grande méconnaissance du système français qui demande aux adolescents de commencer à 8 heures du matin alors que leurs hormones retardent leur sommeil. Fatigués, ils peinent à se concentrer, à se trouver. Le harcèlement se multiplie...
Besoin d'aller librement aux toilettes et sans que les petits copains les voient aux toilettes. A 3 ans, on peut avoir besoin que son intimité soit respectée sans "toilettes partagées".
Besoin de bouger. Beaucoup d'enfants sont qualifiés d'hyperactifs. Pour certains, c'est une réalité. Pour d'autres, c'est simplement un besoin plus fort de bouger. Dans tous les cas, l'enfant devrait pouvoir se déplacer et ne pas rester des heures assis sur une chaise. Il existe des chaises-vélos. Il existe aussi des écoles où l'enfant peut choisir sa position : debout, assis à une table ou sur le sol et même couché !
Le retour de la créativité
Notre société évolue à toute vitesse. Il faut apprendre à s'adapter. Point positif : l'outil informatique est pris en compte. Cependant, ça ne suffit pas. Les enfants ont besoin d'être créatifs pour deux raisons :
- pour rebondir dans cette société changeante (professionnellement et humainement), ils ont besoin d'avoir appris à créer
- pour exprimer, évacuer les tensions d'une société mouvante où la communication devient plus hasardeuse : l'hyper utilisation des réseaux sociaux et portables a modifié notre mode de communication et parfois durablement perturbé nos relations avec autrui, les "zapperies" sont plus faciles, les liens deviennent souvent plus superficiels.
Or, c'est un des regrets très forts qu'avait exprimé ma fille aînée : "En CP, on ne dessine plus !"
L'expression artistique n'est pas une option, c'est un besoin fondamental de l'enfant.
La responsabilité partagée
Dans mes cours d'enseignante, nous avons appris que les enfants qui réussissaient le mieux était les enfants d'enseignant et les enfants de parents impliqués.
Or être un parent sans école va souvent de pair avec être un parent impliqué.
Discuter ensemble, ce n'est pas remettre en question le travail de l'enseignant, c'est aussi élargir son horizon.
De plus, une école ouverte où les parents peuvent partager un savoir-faire, c'est une chance pour l'école.
Une école où un enfant peut prendre la parole et présenter un projet, une passion, pas cinq minutes entre deux propositions scolaires, c'est aussi l'occasion de créer un sentiment communautaire et d'apprendre avec du sens. Ce projet devant être volontaire et non imposé.
Changeons l'école et beaucoup moins de familles se tourneront vers l'instruction en famille.
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